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DE L'AGRICULTURE ET DES ARTS

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4 Série. Tome IV.

Ê " PARIS, LILLE, DIDRON, LIBRAIRE -ÉDITEUR ; L. QUARRÉ, LIBRAIRE, 38, rue Saint-Dominique. 64, Grand'Place.

1878.

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CHARLES LAMB.

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LE L'HUMOUR LITTÉRAIRE EN ANGLETERRE

Par M. Louis DÉPRET.

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CHAPITRE l.

CONSIDÉRATIONS SUR L'HUMOUR.

I.

J'ai choisi Charles Lamb, parmi beaucoup d’autres, _ comme thème à développer mes observations sur l’Hu- mour en général, et en particulier sur l’Humour littéraire en Angleterre, pour les raisons qui vont suivre :

La première de ces raisons, c’est que je crois être arrivé à la connaissance de cet écrivain. [l a été un des premiers quim'aientintéressé dans mes études en Angleterre, et dans mes travaux sur les écrivains anglais. Or, lorsqu’en pays nouveau, parmi tant de choses obscures et de gens inintel- ligibles, il est un auteur qui s’accroche à vous par demys- térieux atômes, qui a l’air de vous faire signe, qui vous arrête par un mot, on peut supposer qu’il y a décret anté- rieur de la destinée, et quelquefois sympathie. Lorsque cette impression vous revient à différentes époques de la vie, et que vous nourrissez le désir de la fixer, dans ce cas il y a des chances de reconstituer, sinon dans sa physio-

Pourquoi j'ai cholsi Charles Lamb.

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=

nomie exacte, du moins dans sa ressemblance idéale, un modèle que vous n’avez jamais vu ; or, c’est tout ce que réclame l’art pur, ennemi des curiosités subalternes et des indiscrétions ignobles. On n’a point été séduit ni par la magie du langage, ni par le prestige de la mode; dès lors on peut se flatter, sans trop de présomption, d’avoir pénétré Jusqu'au cœur.

Secondement : Le spirituel etaffectueux Charles Lamb, est désormais sacré par la postérité. De simple célébrité d’une époque, il a passé classique chez les Anglais, du moins pour les gens lettrés de ce pays qui le placent au premier rang des critiques, des originaux , des humou- ristes , et des remueurs d'idées de l’Angleterre. Le grand lord Macaulay a contresigné de sa maïn infaillible ce jJuge- ment national : « Nous admirons son génie, nous aimons la bonté de cœur qui apparaît dans tous ses écrits, et nous révérons sa mémoire autant que si nous l’avions connu

e

personnellement. » (V. Macaulay, Comic dramatists of

the Resioration). Or, malgré cette haute situation dans son pays, Charles Lamb est inédit“! pour la France, sous la réserve de la mention faite à l’envi de son nom par les Eiographes de journaux.

Enfin, la carrière de Ch. Lamb, sombre et sanglante comme un drame d’Eschyle, dans l’obscurité du milieu le plus modeste, le plus mesquinement bourgeois, ouvre des jours intéressants sur la vie littéraire chez nos voisins, et aussi sur les routes imprévues que sait prendre le bonheur

(1) Inédit s'entend vis-à-vis de la foule, car certains lecteurs se rappellent que Philarète Chasles, le seul Français qui ail rencontré Lamb —vers 4848— nous à rendu l'homme el l'œuvre, dans une chaude, étude éclate sa manière inquiète, capricanle, souvent aiguë el colorée comme une fièvre. fl décrit Lamb sous les traits d'un personnage d'Hoffmann, conforme, paraît-il, à la réalité. Jusque-là, tout est bien, même le {on lyrique. Mais cet enthousiasme pour Lamb n'explique pas pour- quoi M. Chasles a osé traiter avec une sorte de dédain, une des gloires dece siècle, l'auteur de Pickwick el de Copperfeld.

Il a paru encore sur Charles Lamb un article signé : Rugène Forcade. Nous y avons elé frappé de l'intérêt, presque spécialement dirigé sur les accidents de folie héré- ditaire dans la famille Lamb, par ce publiciste distingué, qui mourut lui-même fou.

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3

pour arriver jusqu’à l’homme juste, à travers les cala- mités de tragédies atroces et les épouvantes les plus affreu- ses de l’âme.

Cependant, même à la suite de Macaulay, on hésite à De l'amiretion, prononcer. le mot d'admiration. Trop souvent, en littéra- ture, le mot admiration est à l’usage des lecteurs... qui ne lisent pas. Ceux qui lisent l’appliquent seulement aux grands créateurs : Homère, Dante, Shakespeare, Molière. Charles Lamb n’est point de ces sujets magnifiques, mais c'est un sujet aimable et piquant, digne, par ses talents d'écrivain, d’une haute estime professionnelle; digne, comme homme, de toutes les sympathies par son naturel aimant, par sa vie honnête et pure , par ses malheurs, par sa bonté qui les transforma en bonheur, à l’ombre des amités fidèles que lui valut un cœur excellent.

Voilà un lot assez aimable et qu’il faut se garder de noyer dans les exagérations.

II.

Parmi les mots anglais qui sont entrés dans notre lan- De'Æumour. gue, en nombre bientôt égal à celui des mots français restés en Angleterre, le mot Æumour est un de ceux qui apparaissent le plus souvent, mais non pas depuis long- temps. | En Français, l’adjectif Zumoriste, relativement ancien chez nous, s’appliquait, dans le XIII siècle, plutôt à un homme difficile à vivre qu’à certaine tournure d’esprit ou à certaine manière de style. C'était l'adjectif d'Zumeur, particulièrement de mauvaise ]umeur, mais non point d'Humour qui, pris dans le sens d'humeur, signifierait, li, la belle, l’agréable humeur... Mais il veut dire beau- coup d’autres choses encore.

Dans la construction, dans la consonnance même de ce mot : « Humour, » à cheval sur deux patries, sur deux lan-

L'Humour

n'est pes un domaine exclu-

+

gues, sur deux types nationaux, on surprend, à son ori- gine, le secret de deux interprétations passablement dis- tinctes.

En donnant pour sous-titre à ce travail : De Humour littéraire en Angleterre, je voudrais avoir fait deviner mon opinion. Cette opinion est que l’on ne doit pas attri- buer exclusivement ni à la littérature, ni à l'Angleterre, le monopole de l’Humour. On le rencontre, selon moi, aans la vie tout autant que dans les écrits. De cette grande diversité d'explications, aussi bien en France, en Allemagne et en Espagne qu’en Angleterre.

Si l’on a fait honneur plus spécialement à l'Angleterre du mot et de la chose, c’est parce que cette nation s’est

srometatees la première préoccupée de déterminer les conditions et

l'utilité de l'Zumour (Voyez à un siècle et demi d’inter- valle Addison et Thackeray)... et surtout, parce que c’est en Angleterre, que Humour, pris dans lesensd'excen- trici:é6"), a paru se mêler le mieux avec le caractère de l’habitant. On comprend aussi que l'opinion superficielle qui prête au mot humour l’acception de caprice, de pas- sage subit du rire aux larmes, ait volontiers attribué au pays du brouillard la production plus abondante de l’hu- mour, à ces régions la température variable influe sur l'esprit de l’homme, condamné souvent à rester chez lui, et à vivre de lui-même.

Bien que toutes les littératures de l’Europe, et surtout de notre Occident, aient produit d'excellents humouris- tes, le mot humour et l’idée qu'il exprime, ont donc été assez ordinairement et d’un consentement unanime, pla- cés à l’actif de l'originalité Britannique. Nombre de gens se sont imaginés longtemps que humour n’est pas seule- ment un mot anglais, mais aussi une idée anglaise ; que loin de pouvoir l'expliquer, il ne nous sera jamais donné

(1) He was a great humourist in all parts of his life (Addison). Dans cet exemple : humourist veut dire franchement : un grand original.

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de l'entendre. Je parle d'hier. bien entendu, car aujour- d'hui, Æumour est un mot que les Anglais n’emploient guères plus souvent en moyenne que les Allemands et les Français Le font depuis un certain nombre d’an- nées. Cen'est pas un mot anglais bon teint...; 1l est de- venu banal et international. Les peuples voisins l'ont in- troduit dans leur langue courante ; ils l'ont dénationalisé. en le naturalisant , en l’adaptant à leurs besoins, ainsi que de : Gentleman, comfort, etc. On saïsira entièrement ma pensée lorsque j'aurai mis en présence les interpré- tations anglaises et françaises d'Humour.Il me suffit, à présent, de démontrer que historiquement et littéraire- ment, l'Angleterre ne peut revendiquer la gloire exclu- sive des grandes œuvres humoristiques.

Si l'Angleterre, en tête de ses humouristes, a imposé proverbialement à l’Europe, l’œuvre originale, mais quel- que peu tendue et surfaite de Sterne, l’œuvre élé- gante et polie d’Addison, et l’œuvre amère de Swift, la France peut citer aussi des humoristes du plus haut vol:

Rabelais, qui parle en maint endroit la langue même du plos parfait humour, et qui, en regard de son étincelant dialogue sur le mariage, trouve des phrases d’une émo- tion pénétrante, comme celle-ci : « Mais plus oultre ne » fera voile mon esquif entre ces gouffres et gués mal »plaisants; je retourne faire escale au port dont suis DISSU. )

Montaigne, l’auteur favori de Shakespeare avec Amyot. J'ai dit ailleurs que l'un des deux vestiges matériels que nous ayons retrouvés de Shakespeare est une si- gnature de l'immortel poète, sur un exemplaire de Mon- ligne, acheté à prix d'or par le British-Museum.

La Fontaine, incomparable humouriste, notre Ho- mère, comme on l’a si bien dit.

Pascal, génie sublime...

J'ai résisté avec peine à l’envie de citer le premier dans œtle illustre lignée des humouristes français, le cher

Qu'est-ce

que l'Humour ?

Joinville et ses réponses si délicieusement humouristiques à Saint-Louis.

Loin, bien loin après ces grands hommes, il est encore permis d rappeler Xavier de Maistre, et son Voyage au- tour de machambre.

L'Espagne , avec son merveilleux nu l'Allema- gne moderne, avec son Jean-Paul Richter et son Henri Heine, peuvent riposter à l'Angleterre, sur le champ de Humour.

Qu'est-ce donc que l’'Humour ?

Cest ici que Montaigne eût répondu : « Que sais-je ? » et qu’il eût trouvé le sujet : « Ondoyant et divers autant que l’homme lui-même.

III.

En effet, le propre de l’'Æumour, c’est d’être essentiel- lement local et personnel. Lord Macaulay vante l’Humour de Platon‘), Sainte-Beuve parle de l’'Humour d’un Danois. Chaque pays, chaque individu a parfaitement le droit d’en- tendre l'Humour à sa manière. Chez les écrivains de tous les pays, c’est un criterium de sincérité. Toutefois, il est facile de généraliser l’'Humour et de le rattacher à la litté- rature universelle par des traits communs, et c’est ce que nous tenterons de faire tout-à-l’heure.

Mais auparavant déclarons qu’il ne nous est pas possible de définir l'Humour en traits précis, et avec la rigueur scientifique, pas plus que n’importe quel autre aspect perpétuellement mobile de l’être moral. Dans cet ordre de choses, la plupart des définitions, de même que la plupart des maximes, ne peuvent prétendre qu’à être des lJueurs et non pas la lumière.

(1) J'estime que personne ne contestera à Lucien de Samosate une des premières places parmi {es maîtres de l’Humour. De ce Syrien du II° siècle après Jésus-Christ, passons aux Russes de 4877. Les Tourgueneff et les Gantcharoff ne le cèdent à per sonne dans quelques-uns de leurs portraits d'individus el tableaux d'intérieur. N'uublions pas non plus Andersen.

=

La vérité ne chemine pas dans notre main fermée, mais libre et devant nos yeux. | |

D'ailleurs, pour ce qui est des définitions en général, tout le monde nous accordera, je l’espère, que bien sou- vent la définition de tel mot, tenue pour parfaite, il y a cent ans, a toutes les chances d’être rejetée comme insuf- fisante aujourd’hui, à cause de l’élargissement des inter- prétations , de la complication des cerveaux, et d’une foule de nouveaux encadrements qui ont surgi dans les affaires hamaines.

J'ai dit que la plupart des maximes n’étaient pas moins contestables que la plupart des définitions, et j’entendais les maximes les plus célèbres, les plus acceptées, telles que : Les grandes pensées viennent du cœur ; ou bien : Le cœur a des raisons que la raison ne comprend pas. Ce ne sont là, en vérité, que de brillants abus de mots.

Et celle-ci, encore, universellement répétée : Z’hypo- Crisie est un hommage que le vice rend à la vertu.

N'a-t-on pas le droit de protester, de dire que l’hypo- crisie est une façon de se masquer le visage ou l’âme, dans un but généralement intéressé, et qu’à ce titre il y a les hypocrites du vice, lesquels ne rendent pas du tout hommage à la vertu ?

IV.

Il n’est pas utile de prolonger la démonstration, mais, aün de mieux faire ressortir la vanité de la plupart des dé- par les Anglois finitions, je suis heureux de rencontrer un exemple saisis- sant, populaire, qui rentre franchement dans mon sujet, et qui même en est inséparable : l’esprif..… l'esprit, dont Plusieurs grands analystes ont fait le générateur de l'hu- mour, quiest souvent confondu avec lui, et qui, vraiment, lui ressemble.

bien ! est-ce que l'on a jamais défini l'esprit ? Lui

nd

aussine varie-f-il pas avec chaque nation et chaque indi- vidu ? Qui oserait vouloir définir l'esprit ?

Voltaire lui-même s'y est mis courageusement ei s est avoué vaincu. Cependant, on peut dire que Voltaire était plein de son sujet,

« Ce qu’on appelle esprit, dit-il, est tantôt une compa- » raison nouvelle, tantôt uneallusion fine; ici l'abus d'un » mot qu'on présente dans un sens et qu on laisse entendre dans un autre; un rapport délicat entre deux idées » peu communes ; c’est une métaphore singulière, c’est » une recherche de ce qu'un objet ne présente pas d'abord, » mais de ce qui est en effet dans lui ; c'est l'art ou de » réunir deux choses éloignées, ou de diviser deux choses » qui paraissent se joindre, ou de les opposer l'une à » l'autre. C’est celui de ne dire qu à moitié sa pensée pour » la laisser deviner. Enfin, je vous parlerais de toutes les » différentes façons de montrer de l'esprit, si j'en avais » davantage, etc.» |

Voilà, certes, un charmant voyage autour d’un mot, mais ce n’est point une définition. Voltaire avait, du reste, emprunté textuellement le érast essentiel de son explication à l'Anglais John Locke, lequel s’était expri- ainsi :

« L’esprit consiste surtout dans le rassemblement des » idées, dans l’art de les réunir avec promptitude et va- » riété, en laissant éclater leur ressemblance, leur con- » venance entre elles... et par de produire des ta- » bleaux agréables et d’éveiller de plaisantes images dans » le cerveau. Le jugement habite des rives opposées... » au lieu de rassembler les idées, il sépare au contraire » soigneusement celles qui présentent la moindre diffé- » rence, afin d'empêcher la ressemblance et l’affinité de » nous induire à prendre une chose pour une autre. »

Antérieurement à Voltaire, des maîtres de:snotre lan- gue, des princes de notrelittérature s’étaient déjà exercés sur ce sujet.

9

Fénelon avait dit : « L'esprit ne consiste que dans le pon sens. » Bouhours, qu’Addison proclame le plus péné- trant des critiques Français, s’était efforcé de démontrer qu'une pensée ne saurait être belle qu’à la condition d’être juste, et de s'appuyer sur la nature des choses; en un mot que la vérité est la base de tout esprit. Boileau est du même sentiment.

Fléchier, plus imagé et assez heureux avait dit : « L’es- prit est une finesse de raison qui s’évapore. » Le sublime Pascal a rencontré une explication saisissante : « À me- sure qu'on a plus d'esprit, dit-il,on trouve qu’il y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent __ pas de différence entre les hommes». ..Quel monde d'’é- tudes, condensé en vingt mots ! De ce témoin de génie, passons à un témoin d'esprit. « [1 est encore plus facile, aditM. de Lévis, de juger de l'esprit d’un homme par ses questions que par ses réponses. »

Interrogeons quelques Anglais.

Dryden s’imagine que l'esprit est une propriété de mots et de pensées, adaptée au sujet. À ce compte, Addison relève avec beaucoup de justesse que le géomètre Euclide devait être le plus spirituel des hommes. Ce même Ad- dison a écrit des choses très-précieuses sur l’esprit. Il dit que la pierre de touche du véritable esprit, c’est la tra- duction dans une autre langue. S'il résiste à l’épreuve, Cest de véritable esprit ; s’il s’'évapore durant l'expérience, tentait qu'un vulgaire calembour. Il faut que l’esprit, dépouillé du prestige des mots, éclate et brille encore; pareil à la femme dont parle Aristenete : « Habillée, elle élait belle... déshabillée, c'était la beauté même.»

Partant de la définition de Locke, Addison a tracé l’his- lorique et la théorie du vrai et du faux esprit, dans un des meilleurs morceaux du Spectatewr. De même que le vé- ritable esprit consiste dans la ressemblance et les rapports d'idées, pas trop rapprochées à l'ordinaire, toutefois,

A0 =

de même le faux esprit consiste dans la ressemblance et les rapports des mots et des lettres de l'alphabet. De nous sont venus les anagrammes, les acrostiches, les ca- lembours. Comme premiers spécimens du faux esprit, Addison rappelle ces petits poëmes grecs, écrits dans la forme d'un œuf, d’une paire d'ailes, d’une hache, d’une flute, d’un autel. Puis sont arrivés ceux qui ont écrit des poèmes entiers, ne devait pas apparaître la lettre À, ou telle autre lettre de l'alphabet. Addison rapporte le trait

d’un amoureux de sa connaissance qui avait composé

une pièce de vers représentant la forme de l'éventail de sa maîtresse. [ y a comme une combinaison de cet esprit tiré de la ressemblance des idées ou de celle des mots, qu’Addison appelle : « dfixed mit » et dont il croit trou- ver des specimens dans les poètes Italiens et dans les épi- grammatistes Grecs.

Le brillant Essayist termine ce discours par une re- marque digne d’être gravée en tête des plus justes que l’on ait publiées sur l'esprit :

« Ce qu’il y a de plus certain, dit-il, c’est que tout le monde montrerait de l'esprit, s’il pouvait, mème les plus dédaigneux et les plus rigoristes en apparence, qui essaient quelquefois, à la sueur de leur front, le mode plaisant. »

Or, il n’a été ici question, notez-le bien, que d’une

acception du mot esprit, lequel en a beaucoup d’autres, seulement dans l’ordre moral, et envisagé comme aspect de l’âme. Ainsi, lorsque nous disons : Un homme d’un esprit supérieur ..,un faux esprit pour celui qui reçoit les notions de travers et conclut absurdement..., oubien encore l'esprit par opposition à la lettre, l'esprit de parti, etc.

On entend aussi l’esprit ou les esprits dans un sens plus physiologique. (les esprits vitaux)... Par 1à, le mot esprit , se rapproche encore du mot humour, lequel ap- partient également à l'étude du corps humain, et qui,

_4—

dans cette acception, n’a pas besoin d’être traduit en

Français pour être compris de tous.

Si nous ne craignions pas d’équivoquer sur des termes respectables, nous dirions que l’esprit, en soufflant il veut (Spiritus flat ubi vult), a voulu montrer qu’il ne voulait pas être défini.

En est-il ainsi de l’'Humour? C’est ce que nous saurons, après avoir interrogé, comme nous venons de le faire pour l'esprit, les plusnotables témoins Anglais et Français,

V.

Un Irlandais célèbre et très-populaire dans son ora- geuse patrie, durant la seconde moitié du siècle dernier,

Walter-Hussey-Burgh, très-aimé de son vivant, très-

pleuré à sa mort (au dire de M. Philipps, le biographe de Curran), a laissé parmi d’autres écrits un certain nombre de pensées, je trouve celle-ci :

« Wit is the most attainable, and humour the most unattainable of things.»

«L' Fons est ce qu'il y a de plus facile, et l'humour ce qu’il y a de plus impossible à atteindre.»

Analyse de l'Humour

De cette opinion, que je n’apprécie pas, il faudrait con-

clare que Burgh logeait l'esprit dans l’extérieur, dans l'objectif, et l'humour dans la disposition intime, dans le tempérament inné de l'individu. D'ailleurs, #2/, équiva- valent en Anglais de notre mot esprit, n’emporte pas l'idée de ce je ne sais quoi, vivant, vaillant, spontané et imprévu. C’est quelque chose de plus régulier, dépendant davantage de l’étude ,. de la volonté, de la mode, de la profession, du milieu. .., quelque chose de moins person- nel et de plus servile et imitateur ……; en un mot, c’est plutôt bel esprit qu’esprit...; ce n’est point ce mélange

A0

d’à-propos constant, de sang-froïd hilare, de pénétration des autres et de possession de soi-même, avec cet art de se faire un tremplin du dernier mot prononcé par notre inter- locuteur.. toutes choses qu’éveille chez nous le mot d'esprit, lequel jaïllit à nos yeux, bien plus souvent de Popposition des idées que de cette ressemblance et de cette convenance prescrites par la définition, d’ailleurs très-estimable, de John Locke.

Addison, dans un charmant Essai que l’on retrouvera

dans les soixante premiers numéros du Syeciaieur, se

livre à un parallèle sous forme allégorique entre le vrai et le faux wmour. I] trace ainsi la généalogie de ce dernier: des légitimes noces du Bon-Sens {Wood-Sense) avec l’Es- prit(Wit}est issue la gaieté (mirth) qui, à son tour, engen- dra l’'Humour.

Dans un seul alinéa de l'écrivain qui nous occupe, Charles Lamb, je trouve les trois emplois suivants du mot kumour : lubie, caprice, joyeux état de l’esprit.

Humour a visiblement un quatrième ou millième sens applicable à l'écrivain dit kwmouriste, car il ne signifie pas alors tout à fait Zwbie, ni caprice, ni enjouement de l'esprit, tout en réflétant cette triple signification.

J'ai été fort surpris de ne voir nulle part indiquée lacception d’éronte, qui existe cependant au cœur du sujet, et que l'on retrouve jusqu’à l’excès, jusqu’à la féro- cité, chez les plus célèbres humouristes anglais, notam- ment dans Swift qui occupe le premier rang parmi nos voisins. Le Conte du Tonneau, la Lettre aux Irlandais affamés pour leur recommander de manger leurs enfants,

les Conseils aux domestiques, sont des œuvres d’où

l'ironie déborde. Malgré cela, il n’est point question de l'ironie chez les analystes et les lexicographes anglais de l'Aumour. L'interprétation anglaise était franchement celle de caprice gai, de bizarrerie joyeuse, de plaisanterie imprévue, élégante et policée. Décerné élogieusement par la critique il indiquait un esprit tourné vers la Drôle-

13

rie, mais au profit de l'Humanité. Appliqué à un carac- ière, il signifiait un homme d'un commerce agréable et plein de rondeur.

Puis le temps a marché, et voici comment Thackeray, dans les lectures qu’il fit en Angleterre et en Amérique sur les humouristes anglais, du XVIIT® siècle, énumère ou juxtapose les humouristes :

« Swift Congrève et Addison Steele Prior, Gay » et Pope Hogarth, Smollett et Fielding Sterne et » Goldsmith. »

Au début de son livre, il dépeint ainsi l’humouriste :

« Si l'Aumour signifiait uniquement le Aire, vous ne » vous intéresseriez pas plus aux écrivains humouristes, » qu'à la vie privée d’Arlequin qui possède en commun » avec eux le don de vous faire rire. Mais les hommes » dont la vie et les œuvres sont, ainsi que le témoigne » votre présence ici, l’objet de votre curiosité sympa- » thique, s'adressent à bien d’autres facultés que notre » sens du ridicule. L'écrivain humouriste a pour objet » d'éveiller et de diriger votre amour, votre pitié, votre » bonté, votre mépris pour la fourberie et l’imposture, » votre tendresse pour le faible, le pauvre, l’opprimé, le » malheureux... du meilleur de ses moyens et de son » habileté, il commente presque toutes les actions et pas- » sions ordinaires de la vie.

» En conséquence, selon qu’il trouve, qu’il exprime et » qu'il sent mieux la vérité, nous le considérons, l’esti- » mons et même quelquefois nous l’aimons. Et comme sa » mission a été de noter la vie et les particularités des » autres, ainsi nous moralisons sur sa vie à lui quand il » est mort, et de cette façon le prêcheur d’hier devient le » texte du sermon d’aujourd’hui. »

On voit que Thackeray le prend de très-haut, de façon

quelque peu lourde et péremptoire. Ilimpose à l’humouriste Un personnage de justicier ; le caséigat ridendo de l’auteur

—k

comique est dépassé... Nous arrivons presque au sacer-

doce du journaliste. Nous n’y contredisons pas, mais il faut que la leçon, le prêche n’apparaisse pas, et ressorte de:

l'émotion produite par l’art.

Le défaut principal que je reprocherai au Sermon de Thackeray, lequel n’est point fopique à mon gré, c’est d’as-

signer un but austère et inflexible, et comme une forme

_immuable à ce qui ne vit et ne dure que par la variété, la

grâce, et la souplesse.

En quelle page des volumes qui les ont rendus célèbres, le libre Sterne, et le sage Addison lui-même, témoignent- _ils si rigoureusement du ferme dessein de protéger le faible, et de châtier le vice? Hogerth le graveur est le seul .humouriste, peut-être, dont l'œuvre contienne une leçon , voulue. | Swift, Fielding, Smollett, Goldsmith, ont laissé dans . Gulliver, dans Tom Jones, dans Roderick-Random, dans - le Vicaire de Wakeñfeld, des modèles destinés à vivre aussi ‘longtemps que la langue anglaise d'invention heureuse, d'analyse délicate, de peinture agréable ou touchante, d'émotion saine, de style approprié au sujet... mais sont-ils, ces prêcheurs et ces sermons de Thackeray ?

Invoquons aussi celui qui a inspiré cette étude, et que . l’on classe au premier rang dans la littérature humoris- tique. Certes, Charles Lamb aimait la vertu, bien mieux, il fut vertueux, bien plus, il poussa la vertu jusqu’à _l’héroïsme dans sa vie privée ; mais l’a-t-on jamais vu - sermonner sur d’autres points que l’inteprétation des tra- gédies de Shakespeare, par exemple, ou encore les desti- nées de la comédie en Angleterre, à moins qu’il ne s’agisse d’une dissertation sur le porc rôti, ou d’un éloge des petits ramoneurs ? Mais en taxant de rigueur excessive la théorie de Thackeray, tout le monde reconnaît que chez ‘les grands humouristes du passé la tendance moralisante s’affirme dans l'opposition, dans le contraste de leurs œuvres avec les œuvres contemporaines. La leçon, puisque

leçon y a, est indirecte. En outre, elle portera plus sou- vent sur un point de décence mondaine, ou de convenance littéraire, que de morale intérieure. Aïnsi la réserve, l’élé- gance et la gbriété d’Addison, protestent contre les débordements de style du théâtre de la Restauration, qui était devenu aux mains des Wycherley, des Congreve et des Farquhar une étrange école de mœurs. (Voir Macaulay, Comic dramatiste of the Restoration).

Ainsi encore, l’honnète gaieté de Goldsmith protestera contre les envahissements d’une fade sentimentalité sur la scène de son temps. Mais tout cela, c’est le passé. De nos jours, l'interprétation anglaise du mot humour me paraît avoir été fixée le plus largement possible par les innombrables lecteurs de Dickens; c’est la faculté de per- cevoir le comique et le touchant de ce qui passe inaperçu pour le grand nombre des hommes; c'est l’art d’exhiber les êtres et les choses sous le jour de la vie la plus intense. On a pu remarquer aussi qu’en juxtaposant, ainsi qu’ils le font parfois, comme pour bien les différencier, et l’on dirait comme pour les opposer l’£sprit et l Humour, les Anglais paraissent tenir à empêcher toute confusion. Addison, cependant, place l’humour dans la famille de l'esprit. En somme, il est facile de conclure des diverses explications anglaises qui viennent d’être présentées, que dans l'Angleterre, l'écrivain humouristique a pour fonc- ion d’être le plus dévoué de tous sans en avoir offi- ciellement l’air, au service de l’humanité; à certains égards cette littérature serait celle des souffrants, des déshérités, la littérature du bon sens, de la justice, des réformes, de la logique... mais sous une forme plaisante, imagée, figurée, et point dogmatique. C’est tout à fait notre vue de la matière.

Les Français ont vécu très-longtemps sans idées bien arrêtées sur l'humour et les humouristes. Cependant, en général, c’est l’idée de fantaisie qui a longtemps prédo- miné, et le côté humain, utilement humain, nous échap-

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pait. L'humour fut longtemps chez nous le passage plus ou moins artificiel du rire aux larmes, les nerfs racontant en toute indépendance et sans raison leurs impressions de pluie et de soleil. Cette littérature un peu impertinente a été bientôt discréditée chez nous par l’abus qu’en ont fait des gens sans études premières, sans art de composer, sans imagination. Nous nous sommes servi du mot hw#mo- ristique pour désigner ce genre littéraire qui hésite entre la confession et les notes de voyage, et tout ce qui a été écrit, peut-être avec rime, mais certainement sans raison. Quelqu’un me dit, croyant être profond à force de simpli- cité : l'humour littéraire, c’est le fait d’un homme écri- vant sous l'impression de son humeur joyeuse ou triste. À ce compte le monde serait peuplé d’humouristes.

Avant d'accueillir cette solution facile, il est nécessaire d'établir qu’il ne s’agit pas ici de l’humeur du premier venu, ni de l'humeur de tout le monde... mais d’une humeur spéciale, propre à l’écrivain humouriste, et nous sommes tout aussi avancés qu'auparavant.

Nous avons presque exclusivement voué ce mot au service littéraire. Il caractérise pour nous seulement les produits de la plume ; nous ne l’appliquons pas à la per- sonne de l’auteur, ni de n’importe quel homme.

On supposerait volontiers qu’il y a au fond de tout humouriste un poële mort jeune... plus volontiers encore, avec Musset, on croirait à

« Un poète endormi, toujours jeune et vivant. »

Je l'ai dit, les complications de la vie moderne, magni- fient les choses jusqu’à ce qu’elles aient crevé la frêle

enveloppe des vieilles définitions. Autrefois l’humouriste,

c'était un joyeux inventeur aux saillies bizarres et aux intentions philanthropiques... Aujourd’hui c’est un pen- seur à l’organisation nerveuse et irritable, tendue à l’ex- trème, dont la réserve apparente s’allie au sentiment

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intime de sa force, et au dégoût ou à l'impossibilité de prendre part aux luttes contemporaines. Tantôt sa moque- rie bienveïllante, sérieuse et humaine, cache sous un voile de résignation à la fatalité, une préoccupation vive du droit et du bien-être universels. C’est une gaieté qui tremble, c’est une douleur qui sourit. C’est l’allure indé- pendante d’un esprit très-réglé au-dedans; c’est l’œil de l'âme cherchant la vérité éternelle dans les plus modestes détails de La vie. |

Nous multiplions à dessein les coups de plume: Rien ne s'oppose à ce que l’on applique un de ces traits pris isolément, ou tous ensemble à la description de l'humour envisagé comme tempérament individuel, comme point initial, et indépendamment des voies et moyens, et de la forme adoptée pour correspondre avec les autres.

Après tout, nous ne sommes pas allés aussi loin que le critique et le professeur officiel, qui a lancé celte décla- ration lyrique dans la plus grave de nos revues :

« Ce que les Anglais appellent kwmour est peut-être le plus haut point du génie, le sentiment de l’infini entrevu dans les petites choses, le signe de la disproportion incu- rable entre nos misères et notre âme immortelle, entre nos désirs et nos impuissances, l’échappée de vue qui nous montre le ciel, par le soupirail d’une caverne. »

VI.

Nous nous sommes engagé à produire les traits com- muns, par (malgré les contradictions apparentes des vocabulaires et des analyses), les humouristes de tous les pays forment une légion à part et très-homogène dans la littérature universelle. Pour nous ce qui, sous tous les climats caractérise l’humouriste, c’est une impressionna-

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bilité, comparable seulement à celle de la plaque photo- graphique, se fixe, en une seconde, le tableau mouvant que l’œil n’a pas eu le temps de saisir. Ce que le regard du monde ne perçoit pas. l’œil de l’humouriste en est saisi, et par le même éclair, son cœur est touché, ébranlé. Cette sensibilité souveraine et profonde est la mère de l'originalité, sans laquelle il n’est point d'Æumour. Il y a bien, je le sais, la fausse sensibilité. Je ne dis pas la sen- siblerie, qui, dans son cadre ridicule, est du moins chose sincère. La fausse sensibilité, bien niais qui s’y trompe, procède par flots d’adjectifs mignards. Le semblant d’o- riginalité qu'elle produit est affectation pure. L’hon- neur du véritable humouriste , c’est de ne pas mentir.

Tout menteur procède d’un insensible , et je le répète,

lhumouriste est le plus sensible des hommes. Quelle est cette sensibilité? Tâchons d’en produire un exemple.

bien! je suppose deux hommes qui ont accompli dans la même journée une revue d’ensemble de Paris, c’est-à-dire une excursion en voiture ou à pied à travers les points si divers de cette ville charmante et incompa- rable, excursion comprenant nos boulevards, une prome- nade dans un cimetière, au Bois de Boulogne; dans un musée, dans un atelier quelconque, dans des magasins, le tout aboutissant à une soirée passée dans une stalle du Palais-Royal ou du Gymnase. Pour le premier homme venu, Cela représentera le cours un peu fatigant d’une journée quelconque... pour notre humouriste, ce sera un monde frémissant qui s’agitera dans sa cervelle, avec des contrastes, des opposit'ons de lumière, des gonfle- ments de cœur, des tendresses pour le dévouement ignoré, des pitiés pour celui qui croit qu’il triomphe et qu’on l’aime, des effarements devant fuite perpétuelle du emps, devant l’entrelacement des mystères de la vie et de la mort.

Ah! ce n’est pas à lui que s’applique le nel mirarti d'Horace. On a reproché, je le sais, à l’humouriste d’être

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un perpétuel metteur en scène de lui-même. Ce reproche est immérité, et cetemploi du #05 est forcé, puisquel’Zu- mor, c'est ke sentiment personnel éveillé , surexcité par toutes choses, et qui vient à propos de toutes porter témoi- gnage en faveur de l'humanité. |

L'objet le plus insignifiant en apparence, raconte des secrets fort intéressants à celui qui sait les entendre.

L’humouriste est celui-là qui sait tout entendre. À ce litre, Charles Lamb fut le modèle mème de l’humour. Le récit de sa vie, et l’analyse de ses œuvres vont nous le démontrer.

CHAPITRE II.

RAPIDE APERÇU HISTORIQUE SUR LES PRÉDÉCESSEURS DE CHARLES LAMB.

[.

Lord Macaulay, dans son excellente étude sur Addison, affirme que l’on ne saurait prétendre à renseigner le public sur la vie et les travaux d’Addison, si l’on ne con- naît à fond soi-même, l’histoire littéraire et politique de l'Angleterre, pendant les règnes de William III, d'Anne et de (reorges L. |

La vie de Charles Lamb, toute vouée à la littérature et à l'amitié, n’exige point, pour être retracée avec exactitude, une connaissance approfondie de l’histoire politique de l'Angleterre depuis 1775 jusqu’à 1835, mais pour faire apprécier à sa haute valeur le rôle de l'écrivain chez Lamb, il est utile de reproduire devant le lecteur le mou- Yemen littéraire dont l'Angleterre fut le théâtre depuis les premières années du X VIIT siècle.

=. EE. RO

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Les prédécesseurs de Charles Lamb, j'entends ceux qu'il continue par le caractère de ses travaux, s’appellent Addison, Swift, Steele, Johnson. [ndiquer les phases que traverse la littérature anglaise depuis Addison jusqu’à Lamb, c’est raconter une généalogie littéraire... Plus tard, on verra si Charles Lamb conserva intact, et amé- liora l’héritage transmis par ces grands aïeux.

Quand Addison vint à briller, les élus du talent ou du génie, allaient cesser d’être uniformément les disgrâciés de la fortune, du moins en Angleterre, et aussi en France d’ailleurs. Les plus grands seigneurs de l’Angleterre, les souverains eux-mêmes accordèrent à plusieurs écrivains de mérite une protection avouée, qui ouvrit à certains d’entre eux l’accès des plus hauts emplois du royaume. Congrève et Wycherley vécurent comblés des faveurs des rois et de l'affection la plus extravagante des duchesses. Addison, dans le cours d’une vie quelque peu traversée de péripéties, mais fortunée en somme— sauf des ennuis d'intérieur, dont on affirme qu’il demandait l’oubli à la bouteille— Addison fut chef-secrétaire du lord-lieutenant en Irlande, et même secrétaire d'État en Angleterre. Cependant, il est juste de déclarer que l’exemple d’Addison ne doit pas nous faire croire à la présence de nombreux Mécènes dans le cabi- net anglais, sous les règnes d'Anne et de Georges [*. Cette protection ministérielle n’était pas toujours désinté- ressée. Par exemple, elle fut presque imposée à Addison par les leaders du parti whig auquel l'écrivain était lié par de sérieuses convictions. Il fut de bonne foi en s’enrôlant pour défendre des opinions qui lui étaient chères, et il les défendit avec l’autorité d’un caractère pur et d’un nom connu.

L'exemple d’Addison écarté, tout le monde reconnait que cette sorte d’enrôlement constituerait pour la littéra- ture un état de vasselage, indigne de sa mission sur la terre, et ferait du talent présent du ciel l’instrument d’une coterie. Lord Macaulay traduit, avec sa précision

A

accoutumée, l'origine de cette sollicitude des hommes